Culture

Gabriel Diana : "J'ai un rapport sensuel à la matière"

Six sculptures monumentales en bronze et en acier ornent depuis fin avril le miroir d’eau des nouveaux Bords de Loire. Rencontre avec l’artiste italo-corse Gabriel Diana, mondialement reconnu et primé. À lire d’art d’art…

Publié le   Lecture 4 min 4 sec

Comment vous êtes-vous ouvert à l’art ?

J’ai commencé à 8 ans, c’était interdit dans la famille à l’époque. J’ai poursuivi mes études d’ingénieur, mais j’ai toujours cultivé l’art dans l’ombre (photographie, sérigraphie…), je suis curieux de toutes les techniques. Je fréquentais les ateliers d’artistes, ma grande passion. J’ai vraiment débuté en tant que professionnel au décès de mon fils unique. J’ai commencé en 1999 avec une année de peinture. Le jour où j’ai découvert la sculpture, j’ai viré ma cuti. Une attraction fatale à laquelle je n’ai pas pu résister ! J’ai fermé mes sociétés en Italie, hésitant à m’établir entre Paris, Londres et la Corse, où je me suis installé définitivement.

Pourquoi cette attirance pour la sculpture ?

Un tableau est magnifique. Vous le regardez, vous vous asseyez devant, la lumière change… J’ai commencé par peindre, mais c’est absolument plat. Une sculpture est tridimensionnelle. Je tourne autour de ma sculpture et je la découvre toujours. Votre vie ne vous suffira pas pour voir votre sculpture sous tous les angles. Ce qui est très important pour moi, c’est le rapport sensuel à la matière.

J’ai concrétisé mon univers dans une bulle spéciale : mon musée, ouvert en 2009 en Italie sur 4 000 m². On retrouve près de 280 sculptures sur les 450 que j’ai réalisées en 20 ans. Parmi elles, des marbres, des statues monumentales comme de petites œuvres de quelques centimètres.

Comment décrire l’art ?

Je suis un fabricant d’émotion. Je la reçois et la traduis. L’art est une manière de jouir de nos conditions humaines. C’est très complexe, très philosophique. En fait, pour toutes mes sculptures, si on regarde bien, on arrive à trouver un « quelque chose ». Beaucoup de mes sculptures sont initiatiques, ont un sens caché. L’art doit être beau. Il doit donner envie de beauté, de calme, de sérénité.

« La sculpture ? Une attraction fatale à laquelle je n’ai pas pu résister ! » - Gabriel Diana

Un message dans votre art ?

Non, je suis contre toute forme de dogmatisme, je ne peux pas envoyer de message. Si la personne accroche à mon art, alors on sera en syntonie. Mes œuvres contiennent un message, mais je n’en envoie pas. À chacun de le lire suivant sa propre sensibilité…

Comment pensez-vous avoir évolué depuis 20 ans de carrière ?

On commence tous par un travail académique. Une fois qu’on l’a mûri, on retourne aux origines, fort de ses connaissances pour mieux avancer. C’est complexe comme discours (rires). Quand les gens voient mes statues longilignes, on me rapproche du très médiatisé sculpteur italien Ignacio Jacometti… Retourner aux origines de la sculpture, c’est retourner vers l’art africain. La force de notre art ? On attribue à nos sculptures nos états d’âme. J’y associe dans mes œuvres le mouvement et les gestes, à l’instar de mes statues sur le miroir d’eau.

Reconnu par vos pairs*, quel est votre sentiment sur ces distinctions ?

Cela a toujours été une surprise, d’autant que je n’ai jamais rien demandé. Cela fait plaisir, mais cela ne me fait pas gonfler les chevilles !

« L’art doit être beau » - Gabriel Diana

Présentez-nous vos œuvres en Bords de Loire.

Toutes mes œuvres, qui mesurent jusqu’à 2,50 m, sont longilignes car le mouvement et le geste m’intéressent. Pas la forme physique. J’ai dépassé le stade de l’académisme et c’est l’émotion que suscite la sculpture. Je combats la violence et tente de l’occulter au bénéfice des choses qui sont belles.

J’avais déjà cinq sculptures, il m’en fallait une sixième. J’ai créé spécialement pour les Bords de Loire le berceau arrondi, avec ce couple d’amoureux assis qui se font face.

On retrouve aussi ma première sculpture de ce style-là, un homme qui court. Vice-champion de France militaire sur 800 m, j’ai fait beaucoup de course. J’ai obtenu des résultats pendant mes trois ans de Marine. Sans oublier une femme dans une position lascive, en train d’attendre, un couple qui marche, un couple enlacé et ce couple d’amoureux assis sur un banc : j’aime l’amour, les femmes, les choses belles, tendres et délicates. De leur position statique émane une émotion, un mouvement qui les fait vivre. Ces œuvres reposent sur des caissons en acier corten, qui résiste très bien à l’eau et aux intempéries.

J’ai trouvé le paradis terrestre avec ce miroir d’eau. Il n’y a rien de plus beau qu’un miroir d’eau, qui tient à une certaine distance le public, dicte un certain respect et vous oblige à regarder les œuvres de plus près, vous en approcher. Le reflet des œuvres dans l’eau suivant les horaires de la journée, c’est extraordinaire !

Un mot sur notre ville ?

Pour être honnête, je me suis amouraché de Roanne ! J’aimerais m’établir ici, où le maire est un personnage extraordinaire, d’un vrai dynamisme, qui aime l’art et la culture. C’est formidable de trouver des gens comme ça.

*Cavaliere della Republica Italiana en Italie, Chevalier des arts et des lettres en France